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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/49

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de partir pour le Midi. C’était comme une réponse du destin ; cela voulait dire que décidément, il ne restait plus pour moi rien à faire parmi les vivants… J’errais la nuit dans les rues, jusqu’à ce que l’excès de la fatigue abattît mon angoisse. Le soir de ce jour où j’avais inutilement sonné à ta porte, je suis descendue sur la berge de la Seine. J’étais bien décidée, pourtant, arrivée là, j’ai eu encore une révolte contre mon désir et mon vouloir. Il faisait froid, une de ces nuits de clarté et de sécheresse vives qui donnent envie de marcher allègrement en respirant jusqu’au fond des poumons le gel de l’air… De minute en minute, je devenais plus tranquille, plus implacablement résolue. Je sentais cette chose formidable que l’on ne comprend guère sans l’avoir éprouvée : j’allais pouvoir mourir. Je m’apaisais merveilleusement. Il me venait un plaisir hautain de la certitude de ma liberté, de la pensée goguenarde que tout à l’heure j’échapperais, que je serais la plus forte !… Je flânais mon agonie, et mes nerfs surexcités me faisaient une jouissance fine et prolongée de chaque impression… Le goût de l’air, aromatisé par l’eau, la beauté du paysage de pierres, si serein, d’une telle douceur grave, sculpté contre le ciel par la pleine lune, tout cela entrait en moi à la manière de certaines phrases musicales richement harmonisées… Comme on a peine à croire, lorsqu’on regarde les villes apaisées dans la nuit, que derrière ces façades purifiées par l’ombre, les êtres continuent à vivre leur infamie ou leur tourment !… Tu fais une figure d’impatience. Tu trouves que mon histoire traîne sur du détail inutile ?… C’est que, vois-tu, ç’a été la grande heure de mon existence, cette