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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/52

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que ce visionnaire, cet homme qui lisait les pensées les plus obscures, qui devinait le passé des êtres, et apercevait nettement leur avenir, n’était en somme qu’un hystérique intelligent. Mais j’ai vu les prodiges de cette sensibilité lucide, et un tel diagnostic me semble un peu trop simpliste… Je préfère croire qu’il était de la race des héros et des saints, gens inexplicables dont les actes ne correspondent jamais aux lois de l’intérêt individuel ni de l’instinct animal… Le soir de notre rencontre – il me l’a souvent répété – il avait été forcé de sortir de chez lui, bien qu’il fût souffrant : une volonté despotique, étrangère à la sienne, le conduisait par les rues, le contraignant au chemin qu’il suivait, il sentait qu’il allait vers une âme en douleur marquée pour lui. En m’apercevant, il avait été averti que j’étais celle-là… Tu trouves ces choses absurdes, sans doute…

— Oh ! non ! non !… Et qu’a-t-il fait pour toi, ensuite ?

– Il m’a instruite dans la science et la religion de la souffrance. Il m’a enseigné le chemin des taudis où on crève en silence, et celui des chambres élégantes où on s’enferme pour crier de désespoir… Pendant deux ans, je l’ai de mon mieux aidé dans ses besognes de consolation et de rédemption. Je ne quittais plus Paris que pour donner des concerts : il fallait de l’argent. Monsieur Werner avait eu une grosse fortune, il ne lui en restait presque rien ; il donnait tout… J’ai vu bien des choses auprès de lui, bien des choses… J’ai vu comment l’excès de la souffrance physique durcit les pauvres et les rend mauvais, comment l’excès de la souffrance morale per-