Page:Voragine - Légende dorée.djvu/199

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en outre, fort riche, il résolut de renoncer à tous ses biens et de se consacrer au service de Dieu. Mais comme il ajournait sa conversion, pensant pouvoir servir le Christ tout en remplissant les fonctions d’un juge laïque, le goût des choses séculières commença à grandir en lui à tel point qu’il fut tenté de servir le monde non seulement en acte, mais aussi en esprit. Enfin, après la mort de son père, il fonda six monastères en Sicile, et un septième à Rome, dans sa propre maison ; et là, ôtant ses vêtements de soie ornés d’or et de pierreries, il vécut sous l’humble habit du moine. Et il arriva bientôt à un état de perfection qu’il se rappelait, plus tard, en ces termes, dans l’introduction d’un de ses dialogues : « Mon âme malheureuse, accablée sous le poids de ses occupations, aime à se rappeler le bonheur qu’elle avait jadis pendant mon séjour au monastère ; alors tout le cours des choses fugitives lui était indifférent, accoutumée qu’elle était à ne penser qu’aux choses célestes ; et souvent elle sortait, par la contemplation, du cloître de la chair ; et la mort même, qui presque toujours apparaît comme une peine, lui apparaissait comme l’entrée dans la vie, et la douce récompense de toutes les peines. » Et Grégoire infligeait de telles privations à son corps que son estomac s’était paralysé, et qu’il souffrait fréquemment de ces arrêts de vie que les Grecs appellent des « syncopes ».

II. Un jour, comme il était occupé à écrire dans une cellule du monastère dont il était abbé, un ange lui apparut sous la forme d’un naufragé et lui demanda l’aumône. Grégoire lui fit donner six deniers d’argent ; mais, quelques heures après, le naufragé revint, disant qu’il avait beaucoup perdu et trop peu reçu. Grégoire lui fit de nouveau donner six deniers d’argent ; et une troisième fois le mendiant revint, sollicitant l’aumône avec plus d’insistance que jamais ; alors l’économe du monastère dit à Grégoire qu’on n’avait plus rien à donner, sinon une écuelle d’argent dans laquelle la mère de Grégoire avait coutume d’envoyer des légumes à son fils. Aussitôt Grégoire fit donner cette écuelle au mendiant, qui la