Page:Voragine - Légende dorée.djvu/587

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sidération de sa jeunesse. Enfin il s’écria : « Seigneur, si je lis jamais des livres profanes, c’est que je t’aurai renié ! » Et aussitôt il revint à lui, dans son lit ; et il vit qu’il était tout en larmes, et qu’il avait les épaules encore bleues des coups reçus par lui au tribunal céleste. Aussi mit-il, depuis lors, autant de zèle à lire les livres sacrés qu’il en avait mis, auparavant, à lire les livres profanes.

À l’âge de vingt-neuf ans, il fût ordonné prêtre et cardinal de l’Église romaine, puis, à la mort du pape Libère, on fut unanime à le proclamer digne du sacerdoce suprême. Mais, comme il avait réprimandé la débauche de certains prêtres et moines, ceux-ci, indignés, lui tendirent toute sorte de pièges. Un matin, à son réveil, il trouva sur son lit un vêtement de femme, que des méchants avaient déposé là. Croyant que c’était son propre vêtement, il le revêtit, et se rendit ainsi à l’église, ce qui permit de dire qu’il avait eu une femme dans son lit. Alors, ne voulant plus être exposé à de pareilles folies, il quitta Rome et se rendit auprès de Grégoire de Nazianze, évêque de Constantinople, qui acheva de l’instruire dans les lettres sacrées.

Il alla ensuite au désert ; et lui-même raconte, dans sa lettre à Eustoche, tout ce qu’il y souffrait pour l’amour du Christ : « Dans cette morne solitude brûlée du soleil, je me figurais assister aux délices de Rome. Mes membres déformés n’étaient vêtus que d’un sac, ma peau était noire comme celle d’un Éthiopien ; et toujours des larmes, toujours des gémissements ; et quand, malgré ma résistance, le sommeil m’accablait, j’étalais mes os sur le sol nu. Je ne te dis rien de ma nourriture et de ma boisson. Mais sache que, vivant en compagnie des scorpions et des bêtes féroces, souvent j’étais tourmenté de rêves lascifs où je croyais assistera des danses de jeunes filles. Alors je me fouettais jour et nuit, jusqu’à ce que le Seigneur m’eût rendu le calme. »

Ayant ainsi fait pénitence pendant quatre ans, il alla demeurer dans la ville de Bethléem, s’offrant comme un chien domestique à l’étable de son maître. Il y fit transporter sa bibliothèque, qu’il avait formée avec beaucoup