Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/213

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me créer ces chères bases pour faire mon expérience. Comme personne ne veut m’accueillir, j’aurais mieux fait d’utiliser mes quelques milliers de roubles à m’acheter un logis dans l’un ou l’autre hospice italien, pour ne plus désormais m’occuper aucunement du monde. Je ne sais vraiment plus ce que j’y ferais. Je vous le dis en vérité, bien calmement, du plus profond de l’âme ! Si je vous énumérais les étranges mésaventures qui m’ont poursuivi depuis mon départ de la Suisse, vous même y reconnaîtriez un calcul presque systématique de la destinée pour me détourner de mes projets. Je n’ai pas de chance ! Et il en faut un peu, pour que quelqu’un comme moi garde l’illusion d’appartenir au monde. —

« Maître », je ne suis pas heureux ! Et je suis bien las de la vie. J’en ai fait l’expérience dernièrement, lors d’un danger mortel, dans lequel je me suis trouvé. C’était à Pesth, sur le Danube, dans la même embarcation où, l’an passé, deux jeunes cavaliers hongrois ont accompli le voyage de Rotterdam à Pesth Une charmante et intelligente femme, la comtesse Bethlen, mère de six enfants, s’était chargée du gouvernail. Un orage violent lui fit perdre son sang-froid, et elle mena l’embarcation sous le vent : les vagues poussèrent celle-ci contre un radeau ; un craquement se produisit. J’avais pitié de la pauvre mère, tandis qu’en moi-même je ressen-