Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tais un étrange bien-être, un agréable réconfort : les jeunes gens ne pouvaient s’étonner assez de mon attitude ; ils s’attendaient à voir de l’agitation chez moi, vu ma nervosité. Quand ils se mirent à faire mon éloge — car je pris quelque part au sauvetage — je devais éclater de rire presque !

À quoi bon tout cela ! On ne meurt pas si facilement, surtout quand le moment n’est pas arrivé. Il en doit être ainsi de moi. Seulement, je ne parviens pas à m’expliquer à quoi je suis réservé. Peut-être à représenter quelque chose pour ceux qui m’aiment ? ? Est-ce que je pourrais leur être moins, quand ils me sauront mort, que maintenant, où je suis, de toutes parts, isolé et ne fais que souffrir ? Personnellement je ne puis plus être rien pour qui que ce soit. Et mon intellect ? Il leur appartient, tandis qu’il ne peut plus ranimer mon cœur. Je n’ai plus le désir de rien. Il me manque l’intérêt aux choses, le recueillement. Une dispersion inquiète et profonde s’est emparée de mon âme. Je n’ai pas de présent et visiblement pas d’avenir. Pas la moindre trace de foi. Il est vrai que la véritable activité artistique, la représentation de mes nouvelles œuvres, aurait pu changer beaucoup de choses. Au contraire, mon retour en Allemagne m’a donné le coup de grâce : c’est un misérable pays et un certain Ruge[1] a raison,

  1. Écrivain politique, mort en 1802.