Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ordinaire façon de voir ne pourra se l’imaginer que très pauvrement, très inexactement. Maintenant que Savitri-Parzival occupent mon cerveau, et s’efforcent d’arriver à l’état d’idée poétique —, maintenant, tandis que je me penche avec le calme réfléchi du créateur sur mon Tristan, mon œuvre d’art en voie d’achèvement, — maintenant qui peut deviner de quelle atmosphère miraculeuse je me sens envahi, arraché de ce monde à tel point que je puis déjà me le figurer tout à fait vaincu ? Vous le sentez, vous le savez ! oui, et personne autre que vous, peut-être !

Car si un autre encore le sentait, le savait, personne ne nous en voudrait plus, et toute expérience douloureuse pénétrant du dehors dans son cœur, il l’offrirait en sacrifice, l’âme haute, l’âme ennoblie, aux intentions supérieures du Génie de l’Univers, qui de lui-même crée les expériences, afin de souffrir par elles, et de s’élever ainsi des souffrances à lui-même, — également pour l’amour de sa participation à ces intentions. Mais — qui comprend cela ? Est-ce qu’il y aurait de si inexprimables souffrances dans le monde, si notre conscience était égale à notre volonté d’être heureux, laquelle est la même chez tous ? Uniquement en ceci réside la misère des hommes : si nous reconnaissions tous également et analoguement l’idée du monde et de la vie, les misères humaines seraient impossibles. D’où vient donc la confusion des

— 136 —