Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/238

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me sentir soudain incroyablement soulagé après l’achèvement de Tristan. Voyant que je n’arriverai pas autrement au bien-être, je veux me le garantir de cette façon raffinée. Tout m’y pousse. Les désagréments se multiplient ici où je demeure. Des pianos sont installés tout autour de moi, des étrangers arrivent toujours en plus grand nombre, le propriétaire hausse les épaules : j’offre toujours et toujours davantage pour m’assurer la tranquillité nécessaire et me vois néanmoins déjà errant comme Latone, qui ne trouvait nulle part un abri pour enfanter Apollon, jusqu’au moment où Zeus fit sortir de la mer, à son intention, l’île de Délos. Ceci soit dit en passant, les fables ont cela de bon, qu’en elles on parvient toujours à quelque chose ; dans la réalité l’île reste tout bonnement dans la mer — ou à Mariafeld, bref, quelque part. Oui, mon enfant ! On me soulève des difficultés partout, je n’ai point la vie commode, mais c’est pourquoi il n’y a qu’un seul être à qui je puisse permettre un jour de me faire l’éloge de Tristan, et ce seul être n’en a pas besoin. Donc personne ne pourra me dire « bravo ! », un jour. Et, vous avez raison, ma vie est plus digne dans l’exil, ici, que là-bas ; seulement vous vous trompez, quand vous parlez de sept, huit ans, car la onzième année a commencé déjà. Mais je ne veux point me targuer de cela ; je veux plutôt dire que je suis pressé

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