Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/86

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Je monte dans le palais muet : de grandes salles, de vastes galeries, habitées par moi seul. La lampe brûle ; je prends un livre, lis un peu, réfléchis profondément. Tout est silencieux… De la musique, là, sur le Grand Canal. Une gondole, brillamment illuminée, avec des chanteurs et des musiciens ; des embarcations, de plus en plus nombreuses, suivent, chargées d’auditeurs. Sur toute la largeur du canal, s’avance l’escadrille, sans mouvement presque, glissant doucement. De belles voix, des instruments passables exécutent des chansons. On est tout oreilles. — Enfin cela double, à peine perceptible, le tournant et disparaît plus imperceptiblement encore. Longtemps je continue à écouter la musique, ennoblie et purifiée par le silence nocturne : elle ne peut me ravir comme art, mais s’est faite nature ici. Enfin tout se tait ; la dernière note se fond dans le clair de lune, qui continue à briller, comme le monde des sons devenu visible. —

La lune a décru maintenant. —

Je ne me sens pas bien, depuis quelques jours : il m’a fallu renoncer à ma promenade du soir. Il ne me reste rien que ma solitude et mon existence sans avenir ! —

Sur la table, devant moi, se trouve un petit portrait. C’est celui de mon père, que je ne pouvais plus te montrer quand il arriva. C’est un visage noble, doux, mélancolique et souffrant,

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