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tation mécanique ; situation funeste, dans laquelle vraiment une nature de singe pouvait seule se complaire, et contre laquelle aucune révolte de l’homme n’était possible, puisque l’homme ne sort du cercle de la nature avec la conscience du moi qu’en portant son regard sur l’idéal. Mais le tigre pouvait en arriver à la rébellion. Après que sa femelle eut dansé à plusieurs reprises autour de la guillotine (car chez les Français rien ne se passe sans danse), après que lui-même se fut enivré dans le sang des législateurs de sa civilisation (nous connaissons le vin d’honneur des septembriseurs), il n’y eut plus d’autre moyen de dompter la bête féroce que de la lâcher sur les peuples voisins. Marat le tigre, Napoléon le dompteur, voilà le symbole de la France moderne. — Mais, sans théâtre, le tigre était indomptable : le singe dut aider à l’apprivoisement. Durant des siècles jusqu’à la Révolution, le Français était connu comme le plus triste soldat, et, à ce titre, raillé surtout par les Allemands ; l’armée française passe depuis lors pour la meilleure. Nous savons que ce résultat a été acquis et qu’il est maintenu, d’une part, par une discipline qui broie tout sentiment individuel, de l’autre, par un heureux entrelacement des intérêts de la nature du tigre et de celle du singe : le nouveau mirage qui a pris la place de l’ancien nimbe de la cour de Versailles est la gloire spécifiquement française et suffisamment connue. Nous n’avons à nous en occuper ici que pour autant que nous trouvons en elle une nouvelle expression de la même convention théâtrale qui remplace la nature pour les Français, et au-delà de laquelle ils ne peuvent se transporter par la pensée, sans s’imaginer, comme nous l’avons déjà dit, qu’ils vont retomber dans le chaos.