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Page:Wagner - Art et Politique, 1re partie, 1868.djvu/55

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allure, Gœthe passa de Gœtz à Egmont, ce type de noblesse germanique et de véritable distinction, en comparaison duquel le grand d’Espagne qui le dupe semble un automate graissé de poison ; pour opérer cette transformation du rude et pauvre Gœtz en un gracieux seigneur néerlandais, libre comme l’air, il n’y eut qu’à le dépouiller de la peau d’ours qui a été jetée sur nos épaules, afin de nous préserver de la rigueur du climat et du temps, et de maintenir la chaleur intérieure de ce corps robuste et svelte dont Winckelmann lui-même, si entbousiaste et si prévenu en faveur du Midi, reconnaissait vivement les éléments de beauté. L’allure noble et tranquille avec laquelle Egmont monta sur l’échafaud, conduisit l’heureux poëte vers le pays de merveilles du myrte et du laurier ; là, les cœurs angoissés dans des palais de marbre par les peines les plus tendres, lui tirent connaître et annoncer le sublime mystère de l’éternelle féminité, le symbole impérissable qui, si la religion venait un jour à disparaître de la terre, nous conserverait la notion de sa beauté la plus divine aussi longtemps que le Faust de Gœthe ne serait pas perdu.

N’est-il pas étrange que les esthéticiens littéraires, quand ils parlent d’idéalisme et de réalisme, désignent aussitôt Gœthe comme le représentant du réalisme, tandis qu’ils considèrent Schiller comme idéaliste ? Si Gœthe lui-même a fourni, par certaines expressions, un prétexte à cette méprise, tout le caractère de ses productions, mais surtout ses rapports avec le théâtre, prouvent combien une pareille désignation est inexacte. Il est évident que, dans ses grandes créations propres, il se montra, à l’égard du théâtre, beaucoup plus idéaliste