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raison qu’il n’y entendait rien, et qui dirigea bien au-delàd’un quart de siècle l’institut placé sous ses ordres ; un jour, nous l’avons entendu dire ouvertement qu’à coup sûr Schiller n’oserait plus écrire maintenant quelque chose comme son Guillaume Tell !

Naturellement, il fallut d’abord effacer le point de contact idéal du mime avec le poète. Rien n’était plus facile. On nourrit le mime de friandises et on laissa le poète mourir de faim. On atourna le comédien et surtout la comédienne ; mais quand paraissait la chanteuse ou même la danseuse, alors l’intendant de qualité lui-même tombait à genoux pour lui rendre hommage. Pourquoi le pauvre comédien ne s’y serait-il pas prêté ? Toute la profession fut couverte d’un certain vernis brillant qui, de loin, avait l’air d’un mélange de noblesse et de demi-divinité. Ce qui n’avait été dispensé naguère qu’à des cantatrices italiennes ou à des danseuses françaises en renom, s’étendit sur la classe entière des pauvres acteurs allemands, comme une vapeur qui exhalait un parfum pour les plus aimés et les plus applaudis, et, pour les utilités inappréciées, avait toujours au moins une odeur de rôti. La vanité la plus dégoûtante et la coquetterie la plus éhontée, en un mot, tout ce que la nature du mime renfermait de mauvaises dispositions et de bassesse fut alléché et cultivé avec le plus grand empressement. Le singe, sous sa forme la plus hideuse, s’était heureusement dépouillé de la chrysalide de Gœthe et de Schiller ; il s’agissait enfin de savoir ce qu’on lui présenterait à singer. C’était facile et en même temps difficile. Pour le théâtre comme pour les habits, on s’en tint aux modes parisiennes : on les fit venir et on les imita ; jusque-là rien n’était plus simple. Mais à