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le plus musical et qui a vu les plus grands musiciens du monde sortir du peuple allemand ? Que l’on soit forcé, dans les institutions de concerts même les mieux gardées, où l’on cultive l’art dans toute sa noblesse et sa pureté, de faire les concessions les plus avilissantes aux plus vulgaires trivialités des virtuoses et de convenir, en outre, que le même public, réuni là pour entendre Bach et Beethoven, s’extasie encore bien davantage, quand une célèbre chanteuse à roulades italienne lui fait oublier toute musique, — c’est là ce qui met martel en tête à ces messieurs. Mais après y avoir assez longuement réfléchi pour croire qu’ils peuvent livrer leur jugement à l’impression, sur qui font-ils retomber la faute de l’état de choses dont ils se plaignent ? Eh mon Dieu ! précisément sur le public lui-même, qu’il faut bien prendre tel qu’il est. Quant à la tendance funeste qui a empêché le théâtre de s’élever au même niveau que la musique instrumentale allemande, quant à l’influence toute-puissante du théâtre en général, à laquelle rien, — pas même les dispositions du public, — ne peut résister, ils ne s’avisent pas d’y songer. Ils pensent bien que le théâtre pervertit le goût musical du public ; mais ils ne s’imaginent pas que ce qui est nuisible au bon goût du public est encore plus nuisible au théâtre même, et que la faute n’en est pas au théâtre, mais à la mauvaise direction qui lui a été imprimée ; ils admettent, au contraire, que le théâtre ne pourrait être autre chose que ce qu’il est devenu. Si l’on demandait un remède au musicien allemand, dans quelle perplexité risible on le mettrait ! Car, se dit-il au fond, qu’importe le théâtre à la musique ? Quoiqu’il entende dans toutes les rues retentir à ses oreilles une chanson qui se moque de lui,