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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

sans aucun talent pour l’intrigue ; de plus, dans sa jeunesse, il lui avait été donné de voir une fois Beethoven, et cet excès de bonheur lui avait tourné la tête de telle sorte qu’il ne put jamais se retrouver dans son assiette pendant son séjour à Paris.

Un jour, il y a de cela plus d’un an, je me promenais au Palais-Royal, lorsque j’aperçus un magnifique chien de Terre-Neuve se baignant dans le bassin. Amateur de chiens comme je le suis, je ne pus refuser mon admiration à ce bel animal qui sortit de l’eau, et obéit à l’appel d’un homme auquel je ne fis d’abord nulle attention, et sur lequel mes regards ne s’arrêtèrent que parce que je vis en lui le propriétaire de ce chien d’une si merveilleuse beauté. Il s’en fallait de beaucoup que cet homme fût aussi beau que son compagnon quadrupède. Il était vêtu proprement, mais Dieu sait à la mode de quelle province pouvait appartenir sa toilette. Cependant, ses traits ne laissaient pas d’éveiller en moi je ne sais quel vague souvenir ; peu à peu j’en vins à me les rappeler d’une manière de plus en plus distincte, et enfin, oubliant l’intérêt que le chien venait de m’inspirer, je me précipitai dans les bras de mon ami R.... Nous fûmes l’un et l’autre enchantés de nous revoir. Il faillit s’évanouir d’attendrissement. Je le menai au café de la Rotonde. — Je pris du thé mêlé de rhum, et lui demanda du café, qu’il but les yeux tout humides de larmes.