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V
AVANT-PROPOS

ches en cœur, bouches à roulades, à points d’orgue pâmés », comme dirait M. Émile de Saint-Auban.

Wagner entra donc dans l’été de 1840 « complètement dénué de toute perspective prochaine[1]. Mais il n’était pas homme à se laisser facilement déconcerter, et l’inanité de tous ses efforts pour essayer de réussir dans ses hardis desseins ne put rompre le fil de ses projets. Se vouant pendant quelque temps à une retraite volontaire, il résolut de terminer son Rienzi et de l’offrir sans retard au théâtre royal de Dresde. Cette réclusion, qui l’empêcha de travailler pour le lucre, le précipita naturellement dans un abîme de malheurs. « Des soucis de diverses sortes, une misère noire tourmentèrent ma vie à cette époque » s’écrie-t-il dans son Esquisse autobiographique[2]. Effectivement il était à ce moment-là dans un affreux dénûment. Les meubles qu’il avait achetés à crédit, escomptant le succès de sa Défense d’aimer, il ne pouvait les payer, et les créanciers le poursuivaient sans trêve. Dans sa détresse, il interrompit momentanément son travail pour se rabaisser jusqu’à mettre en musique un vaudeville de Dumersan et Dupeuty : la Descente de la Courtille. Un nouvel et dur insuccès fut le prix de ses peines : proh pudor ! les chœurs des Variétés déclarèrent que cette musique était inexécutablement écrite. Près de mourir de faim, il essaya alors de se faire engager comme choriste dans un théâtre nain du boulevard ! Cette ultime et désespérée tentative fut vaine.

Heureusement, Meyerbeer arriva à Paris et s’informa de Wagner. Il vit en pitié les insurmontables malheurs de son protégé, et, prenant chaudement ses intérêts, le recommanda à Léon Pillet qui ralluma une vive espérance dans le cœur de l’infortuné en lui promettant de faire repré-

  1. Souvenirs, p. 36.
  2. Id., p. 40.