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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

Paris, beaucoup de ces antichambres avec des bancs de velours ou des bancs de bois, chauffées ou non chauffées, pavées ou non pavées !

« Dans ces antichambres, continua mon pauvre ami, j’ai passé à rêver une belle année de ma vie. J’y ai rêvé beaucoup et prodigieusement, de choses folles et fabuleuses des Mille et une Nuits, d’hommes et de bêtes brutes, d’or et d’immondices. J’y ai rêvé de dieux et de contrebasses, de brillantes tabatières et de premières cantatrices, de choristes et de pièces de cinq francs. Au milieu de tout cela, il me semblait entendre souvent le son plaintif et inspiré d’un hautbois. Ce son pénétrait tous mes nerfs et me déchirait le cœur. Un jour, comme j’avais fait les rêves les plus désordonnés, et que ce son m’avait ébranlé de la façon la plus douloureuse, je m’éveillai soudain et trouvai que j’étais devenu fou. Je me rappelle du moins que j’oubliai la chose dont j’avais le plus d’habitude, à savoir, de faire au garçon de théâtre ma plus profonde révérence au moment où je quittai l’antichambre.

— Ce fut, soit dit en passant, la raison pour laquelle je n’osai jamais y retourner, car le garçon ne m’y aurait probablement plus reçu ! — Je quittai donc d’un pas chancelant l’asile de mes songes, mais en franchissant le seuil de la maison, je tombai. J’avais trébuché sur mon pauvre chien qui, selon son habitude, antichambrait dans la rue en attendant son heureux maître