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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

Je ne sais plus très bien ce qui s’y passa, mais je me souviens qu’un jour j’éprouvai l’irrésistible fantaisie de voir le diable. Mon chien, éblouissant de beauté, m’accompagnait quand j’arrivai à l’entrée des concerts Musard. Avais-je l’espoir d’y rencontrer le diable ? Je ne le sais au juste. Je me mis à examiner les gens qui entraient ; et que vois-je dans le nombre ? l’abominable Anglais, tout à fait le même en chair et en os. Il n’était point changé, et m’apparut tout à fait comme dans le temps où il me joua auprès de Beethoven cet atroce tour que j’ai raconté. — La terreur me saisit : j’étais bien préparé à affronter un démonde l’autre monde, mais jamais à rencontrer ce fantôme de notre terre à nous. Eh ! qu’éprouvai-je, hélas ! quand le malheureux me reconnut sur-le-champ ? Je ne pouvais l’éviter ; la foule nous poussait l’un vers l’autre. Contre son gré et contre la coutume de ses compatriotes, il se vit forcé de se jeter dans mes bras que j’avais étendus pour me frayer un passage. Il y était et fut pressé fortement contre mon cœur agité de mille émotions cruelles. Ce fut un terrible moment ! Cependant nous nous trouvâmes bientôt plus au large, et il se dégagea avec quelque contrariété de mes étreintes involontaires. Je voulus fuir, mais cela me fut impossible. — Soyez donc le bienvenu, mon cher monsieur ! s’écria-t-il ; c’est charmant pour moi de vous rencontrer toujours ainsi sur les chemins