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UN MUSICIEN ÉTRANGER À PARIS

Mozart, un Beethoven ? qui peut le savoir, et qui voudrait me contredire si je déclarais qu’avec cet homme mourut un artiste qui eut ravi le monde par ses créations, s’il ne fût mort de faim préalablement. Je le demande, qui me prouvera le contraire ?

— Aucun de ceux qui suivirent sa dépouille mortelle ne pensa à soutenir cette thèse. Ils n’étaient que deux avec moi, un philologue et un peintre ; un autre fut empêché par un rhume ; plusieurs autres n’eurent pas le temps. Comme nous arrivions sans pompe au cimetière Montmartre, nous remarquâmes un beau chien qui s’approcha de la civière et flaira le cercueil en renâclant avec une curiosité triste et inquiète. Je reconnus l’animal et regardai autour de nous : j’aperçus, fièrement assis à cheval, l’Anglais, qui parut ne rien comprendre à l’étrange préoccupation de son chien qui suivait le cercueil; il descendit, donna son cheval à garder à son domestique, et nous rejoignit dans le cimetière : — Qui enterrez-vous là, monsieur ? dit-il, en s’adressant à moi. — Le maître de votre chien, répondis-je. — Goddam ! s’écria-t-il, il est fort désagréable pour moi que ce gentleman soit mort sans avoir reçu son argent pour le prix de l’animal. Je le lui avais destiné et cherchais une occasion de le lui faire parvenir, quoique ce chien hurle pendant mes exercices de musique. Mais je réparerai ma sottise, et disposerai des cinquante guinées, qui