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LE FREISCHÜTZ

en un foyer commun : d’un bout de l’Allemagne à l’autre, le Freischütz était dansé, chanté, écouté avec transport.

Et vous aussi, qui vous promenez au bois de Boulogne, vous avez chanté les airs du Freischütz ! Dans les rues de Paris les orgues de Barbarie ont fait entendre le chœur des chasseurs ; l’Opéra-Comique n’a pas dédaigné la Couronne de la vierge, et cet air ravissant : Jamais le sommeil n’approcha de mes paupières a plus d’une fois enthousiasmé l’auditoire de vos salons. Mais ce que vous chantiez, le compreniez-vous ? J’en doute fort. D’abord vous n’avez pas vu cette nature si étrangement sauvage ; et puis dans la sentimentalité, dans la rêverie allemande, il y a quelque chose qui échappera toujours aux étrangers, si spirituels qu’ils puissent être. Nous sommes un peuple singulier ; l’air de Freischütz : À travers les bois, fait couler nos larmes, tandis que nos yeux restent secs quand, au lieu d’une patrie commune, nous n’apercevons que trente-quatre principautés. C’est peut-être là une faiblesse, mais vous nous la pardonnerez, car c’est à elle que vous devez une admirable partition, qui mérite bien, du reste, la peine de faire un voyage, et de visiter les lieux où Samiel avait sa résidence. Un voyage à Carlsbad vous en offrirait facilement l’occasion. Si vous pensez que cela n’en vaut pas la peine, si vous ne pouvez renoncer pour une seule soirée à vos habitudes et