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Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/207

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UNE SOIRÉE HEUREUSE

poir que le bonheur que j’ai perdu rentrera dans mon cœur par les oreilles. Il faut voir avec quelle anxiété scrupuleuse je pèse alors les jeux, et mesure les vibrations les plus fugitives. Quand la voix de mon cœur se tait, oh, alors ! je suis tout aussi pointilleux que tous ces fats qui m’ont remué la bile aujourd’hui ; et il y a des heures où une sonate de Beethoven pour violon ou violoncelle pourrait me mettre en fuite. Que béni soit le Dieu qui créa le printemps et la musique ! Aujourd’hui je suis heureux, et je puis te dire que je le suis !

En parlant ainsi, il remplit de nouveau les verres, et nous les vidâmes jusqu’à la dernière goutte.

— Et moi aussi, lui dis-je, moi aussi je me sens heureux ! Et comment ne le serait-on pas, lorsque, dans une parfaite tranquillité d’esprit, et avec un doux sentiment de bien-être, on vient d’entendre deux compositions qui paraissent avoir été inspirées par le Dieu de la joie noble et pure ? Il me semble que ce fut une idée heureuse de rapprocher ainsi la symphonie de Mozart de celle de Beethoven ; j’ai cru découvrir une merveilleuse parenté entre ces deux ouvrages ; tous les deux peignent les transports qu’inspire à l’âme humaine la certitude d’avoir été créée pour le bonheur, transports que relève et sanctifie le pressentiment du monde immatériel. Toutefois, entre ces deux symphonies, il y a cette différence,