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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

air piteux et désolé à la fabrication de quelque duo, dont le sujet sera le vol d’une montre, ou une tasse de thé qu’on offre !

Ne soyez donc pas jaloux de ces messieurs, si parfois il plaît à Dieu de susciter un vrai poète et de lui jeter au cœur l’étincelle qui enflammera le musicien à son tour. Sans arrière-pensée de haine ni d’envie, félicitez Halévy de ce que son bon génie lui a procuré des livrets comme ceux de la Juive et de la Reine de Chypre, car, après tout, cette faveur n’est tout rigoureusement que justice.

En effet, Halévy a été deux fois complètement heureux, et ce qu’il faut admirer, c’est la manière dont il a profité de cette double faveur pour créer deux monuments qui marqueront dans l’histoire de l’art musical.

Certes, le talent d’Halévy ne manque ni de fraîcheur ni de grâce ; toutefois, par son caractère prédominant de gravité passionnée, il était destiné à se développer dans toute sa force et dans toute son étendue sur notre grande scène lyrique. Une chose digne de remarque, c’est que c’est en ceci que le talent d’Halévy se distingue essentiellement de celui d’Auber et de la plupart des compositeurs français, dont la véritable patrie est décidément l’opéra-comique. Cette institution nationale, où les diverses modifications, les changements si curieux du caractère et du goût français se sont manifestés avec le plus de clarté et