Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

par le lieu où se passe la scène. Or, la différence caractéristique du lieu de la scène n’a jamais eu plus d’importance que dans ce drame, où elle donne une empreinte particulière tant à l’action qu’aux formes sous lesquelles elle se manifeste. Pour peu que vous prêtiez l’oreille aux accents d’Halévy, vous comprendrez comment on peut exprimer par les sons cette diversité locale : en ceci il a même surpassé le poète.

La toile se lève. Nous sommes à Venise, au milieu de palais et de canaux : ni arbres ni champs verdoyants ne se montrent à nos regards ni même à notre imagination. Il y a pourtant une fleur qui croît en ces lieux, c’est l’amour de Gérard et de Catarina. Frais et pur comme la brise du soir, glisse vers nous le chant si simple et si joyeux par lequel Gérard annonce de loin sa venue à l’amante qui l’attend. Il y a là un élan de désir tendre et naïf, et en même temps une décision courageuse qui nous initient au caractère du jeune homme. Pour concilier tout d’abord nos sympathies aux deux amants, le compositeur a mis tout ce que son art a de plus enchanteur dans le duo où ils exhalent les sentiments qui les enivrent. Le jour sombre sur lequel se dessinent ces deux charmantes figures apparaît même à travers ces chants si brillants et si éclatants de bonheur comme un nuage sinistre, et leur communique un caractère particulier d’intérêt mélancolique. Rien n’égale en noblesse et en grâce la