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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

vanni, et l’on sera convaincu de la réalité des griefs que nous venons d’exposer. Comparez les résultat ? obtenus par ces grands chanteurs luttant contre cet immortel chef-d’œuvre avec l’effet qu’ils produisent dans leur répertoire habituel. Quel prodigieux assemblage de bévues ! Comment donc se fait-il que ces artistes si entraînants dans les opéras de Rossini, de Bellini, et même de Donizetti, au point même de nous y faire supposer des traits de génie et des intentions dramatiques là où jamais il n’en a existé, comment ces artistes si habiles, dis-je, sont-ils parvenus à rendre le merveilleux opéra de Mozart ennuyeux ? Comment leur inspiration, d’ordinaire si chaleureuse, a-t-elle été, en cette occasion, frappée de tant d’impuissance, que leur triste allure à travers ces prodiges d’harmonie les fait ressembler à des oiseaux privés d’air, ou à des poissons ravis à leur liquide élément ? C’est qu’en effet ni l’air ni l’eau n’abondent dans Don Juan, tout plein d’un bout à l’autre de ce feu sacré allumé au joyau magique de notre légende.

Ou bien est-ce qu’en effet Don Juan ne serait qu’une production pâle et médiocre, et ses mélodies seraient-elles donc trop simples pour inspirer la verve des exécutants ? Oh ! non, certes ! et ces fameux virtuoses, pris isolément, sont les premiers à réfuter, par leur exemple, une accusation aussi injuste. Ainsi l’admirable Lablache ne sait-il pas donner à son rôle d’un