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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

L’adoption de cette prière quotidienne doit vous dire assez que je suis musicien, et que l’Allemagne est ma patrie. Une ville de moyenne importance me donna le jour. Je ne sais quelles étaient les vues de mes parents sur ma condition à venir ; mais ce que je me rappelle, c’est qu’un soir, ayant entendu une symphonie de Beethoven, j’eus dans la nuit un accès de fièvre, je tombai malade, et qu’après mon rétablissement je devins musicien. Cette circonstance peut expliquer la préférence que je donnai constamment dans la suite aux œuvres de Beethoven, quelque belle musique que j’aie maintes fois entendue. C’était pour moi une affection, une idolâtrie à part. Ma plus vive jouissance fut de me plonger dans l’étude intime, approfondie de ce puissant génie, jusqu’à ce que je crus m’être identifié pour ainsi dire avec lui, jusqu’à ce que mon esprit nourri d’inspirations de plus en plus sublimes me parût être devenu une parcelle de ce rare et merveilleux esprit, jusqu’à ce qu’enfin j’arrivai à cet état d’exaltation que bien des gens traitent de démence.

Folie bien tolérable pourtant, et bien inoffensive. Cela ne me procurait qu’un pain fort sec et une boisson fort crue ; car on ne s’enrichit pas en Allemagne à courir le cachet. Après avoir vécu de la sorte assez longtemps dans ma mansarde, je vins un jour à penser que le grand artiste, objet de ma profonde vénération, vivait encore, et j’eus peine à m’expliquer comment cette idée ne