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dans cette voie ; il fit le second avec « Tannhäuser » et il savait qu’en le faisant il se séparait définitivement du public. Mais que lui importait désormais le vague jugement de la masse ? Son mépris du monde moderne allait grandissant. Quelques personnalités amies pouvaient seules le comprendre complètement — il en possédait des preuves — ; c’est à elles qu’il voulait désormais se manifester, il songeait à elles en composant : à mesure qu’il abandonnait la préoccupation de se rendre accessible à la masse et qu’il cherchait à se montrer entièrement tel qu’il était, ses moyens d’expression gagnaient en netteté, sa forme devenait plus précise.

La façon dont le public accueillit « Tannhäuser » ne fit que confirmer les présomptions de Wagner. De telles œuvres déroutaient les frivoles spectateurs du théâtre contemporain : leur succès momentané dérivait surtout de l’étonnetnent qu’elles produisaient, et de leur puissance, qui malgré tout s’imposait à l’inconscience commune. Mais elles ne demeuraient point au répertoire : le public devait éprouver en leur présence une sorte de malaise, comme en face d’apparitions venues d’un monde qui lui était complètement étranger.

Une impression de solitude absolue envahit alors l’âme de Wagner : il s’était élevé spirituellement au dessus de la vie ambiante, il avait