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devant lesquels Eschyle et Sophocle se fussent inclinés en signe de joie comme des frères — ont depuis des siècles élevé leurs voix dans le désert ; nous les avons entendus et leur appel résonne encore à nos oreilles : mais dans nos cœurs vains et vulgaires la résonnance vivante de leur appel s’est éteinte ; leur gloire nous fait trembler, mais leur art nous fait rire ; nous leur avons permis d’être de nobles artistes, mais nous les avons empêchés de faire l’œuvre d’art ; car la grande, la véritable, l’unique œuvre d’art ils ne peuvent la créer seuls, nous devons y collaborer aussi. La tragédie d’Eschyle et de Sophocle était l’œuvre d’Athènes.

À quoi nous sert cette gloire des nobles artistes ? À quoi nous servit que Shakespeare comme un second créateur, nous révélât la richesse infinie de la vraie nature humaine ? À quoi nous servit que Beethoven donnât à la musique une force poétique virile, autonome ? Interrogez les misérables caricatures de vos théâtres, interrogez les rengaines infimes de vos musiques d’opéra, et vous entendrez la réponse ! Mais avez-vous même besoin d’interroger ? Oh non ! Vous savez pertinemment ce qu’il en est ; vous ne voulez du reste pas qu’il en soit autrement, vous faites seulement semblant de ne pas le savoir !

Qu’est-ce donc que votre art, votre drame ?