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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

et de foi, méritent la descente, sur leurs têtes, des apostoliques langues de flamme, afin de pouvoir parler au Peuple[1], au cœur du Peuple, inconsciemment, l’idiome spirituel qui les en rendrait maitres. Ils le sont – à la condition que ces interprètes, les acteurs comme les musiciens, les décorateurs comme les machinistes, ainsi devenus dignes du Drame, trouvent alors devant eux des gens rassemblés pour se « distraire », soit, mais pour se noblement « distraire », au sens le plus élevé du mot : c’est-à-dire pour s’abandonner sans réticences, sans infatuation critique, à l’ingénuité de leurs propres impressions, au lieu de chercher dans l’Œuvre d’Art tout autre chose que l’Œuvre d’Art, tout, – excepté cette Œuvre elle-même ! Ces représentations idéales, par des interprètes idéals, devant un Public idéal, pour un Public dont le goût n’ait pas été faussé, tour

  1. Voici comment Wagner définit le Peuple : « Qu’un homme soit le plus ou le moins cultivé de tous, savant ou ignorant, placé au plus haut ou au plus bas de l’échelle sociale… sitôt qu’il éprouve et qu’il entretient en lui une aspiration qui le force à sortir d’un lâche accommodement à la connexion criminelle liant notre Société et notre État, ou de l’obtuse soumission d’esprit à cet ordre de choses ; une aspiration qui lui fasse ressentir le dégoût des joies vides de notre civilisation inhumaine, ou la haine d’un utilitarisme profitable seulement a ceux qui n’ont besoin de rien, et non à ceux qui manquent de tout, – … sitôt que cet homme reconnait clairement et sans hésitation cette nécessité morale, en se sentant capable de souffrir de la peine d’autrui, et, s’il le faut, d’offrir sa vie même en sacrifice, – celui-là appartient alors au Peuple ; car lui et tous ses pareils ressentent une même détresse. » (L’Œuvre d’Art de l’Avenir, Das Kunstwerk der Zukunft : Gesammelle Schriften, t. III, pp. 206-207.) « Le Peuple est l’ensemble de tous ceux qui éprouvent une commune détresse. » (Id., p. 60.) – Cf. L’Art de Richard Wagner : l’Œuvre poétique, par M. Alfred Ernst, pp. 168-172. – C’est au Peuple, ainsi défini, que se doit adresser l’Œuvre d’Art, car « le seul créateur de l’Œuvre d’Art est le Peuple : l’artiste peut seulement saisir et exprimer la création inconsciente du Peuple . » (R. Wagner, Entwürfe, Gedanken, Fragmente, éd. citée, p. 22.)