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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

tristesse que je le constate, pour la majorité des âmes exceptionnelles, dans la minorité des artistes sincères.

Et voici qu’au moment où tant d’amoureux d’Art par mode, par dilettantisme ou par vocation, déjà se félicitaient, sans doute, d’une publication « dans le mouvement », comme d’un prétexte à faire parade de leur très profonde connaissance du Poème de Richard Wagner, voici qu’un importun surgit, trouble-fête qui, la plume au poing, les exhorte à se moins empresser, s’efforce, par ironie, par menace, par défi, d’attirer sur sa naine personne les regards de ces pèlerins prompts à fouler la route, la grande route percée d’aujourd’hui vers l’un des temples de Wagner… Hé ! mais, pèlerins que vous êtes, cette route, c’est moi qui l’ouvre, et j’ai le droit d’y parler, peut-être. Aussi bien la question n’est-elle guère si mesquine. Epargnons à nos chroniqueurs la joie de noter, Larousse en main, que, si toute vanité est ridicule, comme dit La Harpe, il n’y a pas de vanité qui soit plus ridicule que celle d’un traducteur quelconque : privons les cervelles normaliennes du bonheur de sentir vibrer, simultanément par toute la France, en la même circonvolution, l’automatique souvenir d’une phrase de leur Voltaire, attribuant aux traducteurs la forfanterie des « domestiques »,‫ ‬la cocasse forfanterie de se croire aussi grands seigneurs que leurs maîtres. Phrase applicable, il faut le reconnaître, n’est-ce pas ? à l’effort d’un Châteaubriand sur l’épopée d’un John Milton, ou d’un Charles Baudelaire assez présomptueux pour nous révéler Edgar Poë, ou d’un Leconte de Lisle… mais silence : celui-ci vit encore, et puis – ni Châteaubriand, ni Baudelaire ne suis-je, ni, bien que je vive, Leconte de Lisle… A plus forte raison ne m’estimerai-je point l’égal du royal génie que M. Mallarmé, qui s’y connait, put nommer « le dieu Richard Wagner ». Mais, sentinelle au seuil du temple, je prends soin que vous n’y entriez qu’avec