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NEUVIÈME SYMPHONIE

pas de meilleurs fruits non plus, je poursuivais, à ma manière, mon éducation artistique en copiant les partitions de mes maîtres bien-aimés. À cette occupation, je gagnai une écriture élégante et lisible, souvent admirée dans la suite. Je crois savoir qu’on garde encore comme souvenir mes copies des symphonies de Beethoven, de celle en ut mineur et de la neuvième.

Cette neuvième symphonie était devenue le point attrayant et mystique où convergeaient toutes mes pensées musicales. Elle éveilla tout d’abord ma curiosité, parce que, de l’opinion générale des musiciens et non seulement de ceux de Leipzig, Beethoven l’avait composée étant presque fou. Elle était considérée comme le non plus ultra du genre fantastique et incompréhensible. C’en était assez pour me pousser à étudier avec passion à quelle inspiration démoniaque elle était due.

Après m’en être procuré à grand’peine la partition, je n’eus qu’à y jeter les yeux pour me sentir fasciné avec la violence de la fatalité : les longs accords de quintes du début me rappelaient les sons qui avaient joué dans mon enfance un rôle surnaturel. Ils m’apparaissaient là comme le mystérieux ton fondamental de ma propre vie. Cette symphonie renfermait certainement le secret de tous les secrets, et mon premier soin fut de m’en approprier la musique par une pénible copie. Je me souviens qu’après une nuit passée à ce travail, je fus surpris par les lueurs troubles de l’aube ; dans ma surexcitation, j’en éprouvai une telle frayeur que je me mis à crier comme à la vue d’un spectre et que je me cachai sous la couverture de mon lit.