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Page:Wagner - Ma vie, vol. 1, 1813-1842.pdf/79

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LES AMIS

gens jettent leur gourme, et je m’étonne aujourd’hui encore de sa laideur et de son vide. Mes liaisons avec les blancs-becs de mon âge avaient toujours été dues au hasard le plus banal, et je ne puis me souvenir qu’une sympathie particulière m’ait jamais guidé dans le choix de mes amis. Je ne suis certain que d’une chose, c’est que je n’ai jamais tenu à distance, par un sentiment d’envie, un camarade plus doué que moi. Pour m’expliquer mon indifférence à cet égard, je suis réduit à supposer que, ne connaissant pas la valeur des bonnes relations, il me suffisait de trouver quelqu’un qui m’accompagnât dans mes promenades et à qui je pusse ouvrir mon cœur, sans avoir besoin de m’inquiéter de ce qu’il pensait lui-même. Le moment arrivait pourtant où, après m’être entièrement épanché sans rencontrer de réciprocité, je ressentais la nécessité de posséder un véritable ami.

À mon grand étonnement, je m’apercevais que, pour mes camarades, il n’était d’ordinaire pas du tout question de répondre à mes effusions. Dès que je voulais faire vibrer chez l’un d’eux la corde qui vibrait en moi, c’est-à-dire provoquer des confidences sur des sentiments qu’au fond il n’éprouvait pas, nos relations cessaient brusquement, sans laisser de traces dans mon existence.

Ma singulière liaison avec Flachs demeura dans une certaine mesure le type de la plupart de celles que j’eus ensuite. Le fait que je n’ai pu contracter d’amitié durable rend compréhensible la passion que j’éprouvai longtemps pour la vie de bohème des étudiants où les relations individuelles sont refoulées au second plan par