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CARACTÉRISTIQUE DE Mme SCHRŒDER-DEVRIENT

et le désir, je me demandais tristement ce qu’il me fallait bien faire pour arriver à quelque chose dans ce monde bizarre.

Je parvins cependant à surmonter mes répugnances, grâce à la sympathie que me témoignèrent quelques natures supérieures. J’entends surtout parler de la grande actrice Mme Schrœder-Devrient, dont j’avais autrefois tant souhaité devenir le collaborateur. Sans doute, bien des années s’étaient écoulées depuis que je l’avais vue pour la première fois. En ce qui concernait son extérieur, Berlioz, venu à Dresde l’hiver précédent, avait été en droit de s’exprimer défavorablement sur elle, dans une correspondance parisienne, et de dire que son embonpoint tant soit peu maternel rendait l’illusion impossible dans les rôles trop jeunes et spécialement dans les travestis, ce qui était le cas pour Rienzi. Sa voix, qui n’avait jamais eu le volume d’un organe extraordinaire, ne lui obéissait plus toujours, et la cantatrice se voyait généralement forcée de traîner le mouvement. Mais ce qui portait le plus préjudice à son art, c’était que son répertoire s’était réduit à quelques rôles de bravoure qu’elle avait joués trop souvent, de sorte que sa constante préoccupation des mêmes effets donnait à son jeu quelque chose d’affecté, avec une tendance parfois désagréable à l’exagération. Bien que tout cela ne m’échappât point, je passai par-dessus les faiblesses qui en étaient résultées, car j’étais le mieux à même de comprendre son incomparable talent et d’en être ravi. Du reste, il suffisait que sa vie étonnamment mouvementée jetât l’artiste dans une certaine surexcitation,