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En présence de cette nouveauté qu’on ne saurait méconnaître, il ne restait désormais à la poésie que deux voies pour se développer : il fallait qu’elle passât d’une manière complète dans le champ de l’abstraction, de la pure combinaison des idées, de la représentation du monde au moyen des lois logiques de la pensée ; or cette œuvre est celle de la philosophie et non de la poésie ; ou bien elle devait se fondre intimement avec la musique, et avec cette musique dont la symphonie de Beethoven nous a révélé la puissance infinie.

La poésie en trouvera sans peine le moyen, elle reconnaîtra que sa secrète et profonde aspiration est de se résoudre finalement dans la musique, dès qu’elle apercevra dans la musique un besoin qu’à son tour la poésie peut seule satisfaire. Pour expliquer ce besoin, il faut constater avant tout cette inévitable phase dans la marche de l’intelligence humaine, où elle se sent pressée de découvrir la loi qui préside à l’enchaînement des causes, et se pose, en présence de tout phénomène dont elle reçoit une forte impression, cette question involontaire : « Pourquoi ? » Or c’est une question que l’audition même d’une symphonie ne peut empêcher complètement de s’élever ; bien plus, comme elle ne peut y faire de réponse, elle confond la faculté de percevoir les causes, et suscite dans l’auditeur un trouble qui non-seulement est capable de tourner en malaise, mais devient de plus le principe d’un jugement radicalement faux. Répondre à cette question, à la fois troublante et inévitable, de telle sorte qu’elle cesse de s’élever et soit désormais en quelque sorte éludée, voilà ce que le poète seul peut faire.