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Page:Wagner - Quatre Poèmes d’opéras, 1861.djvu/79

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rablement fait pour brouiller les idées du public en le laissant incertain de ce qu’il doit chercher et embrasser ; car le public est involontairement obligé de se livrer à des réflexions hasardées, prématurées, fausses, et il voit aussi le bandeau des préventions s’épaissir sur son esprit de la façon la plus fâcheuse, grâce au bavardage de tous ceux qui, dans ses rangs mêmes, prononcent en connaisseurs. Et, par contre, remarquons l’étonnante sûreté des jugements que le public porte, au théâtre, sur le drame récité ; rien au monde ne peut le déterminer ici à tenir pour raisonnable une action absurde, pour convenable un discours qui est hors de saison, pour vrai un accent qui ne l’est pas : ce fait est le point solide auquel il faut s’attacher pour établir dans l’opéra même, entre l’auteur et le public, des relations sûres et nécessaires à leur entente mutuelle.

Mon Tannhœuser peut donc encore se distinguer de l’opéra proprement dit sous un autre rapport : je veux parler du poëme dramatique sur lequel il repose. Loin de moi la pensée d’attribuer à ce poëme plus de valeur qu’il n’en a comme production poétique proprement dite ; je ne veux en faire ressortir qu’un seul trait, c’est que, bien qu’établi sur le terrain du merveilleux légendaire, il contient une action dramatique développée avec suite, dont le fond et l’exécution ne renferment absolument aucune concession aux exigences banales d’un livret d’opéra. Mon but est d’attacher, avant tout, le public à l’action dramatique elle-même, sans qu’il soit obligé de la perdre un instant de vue ; tout l’ornement musical, loin de l’en détourner, ne doit lui paraître au contraire