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Page:Wagner - Tristan et Yseult, 1886, trad. Wilder.djvu/19

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ACTE PREMIER
YSEULT,
l’interrompant.

Oui, sous son insolence,
J’ai vu rougir ton front ;
Mais tu ressentiras bien mieux l’offense,
Quand tu sauras qui me vaut cet affront ! —
Ils chantent, en riant, ma honte,
Je vais répondre en te contant… un conte ! —
Dans un canot, échoué près du port,
Je recueillis jadis un homme,
Pâle et blême comme un fantôme,
Marqué déjà par le doigt de la mort. —
De l’art d’Yseult il connut la mesure ;
Un baume rare, entre tous précieux,
Lui ferma sa blessure
Et lui rouvrit les yeux. —
Tantris, — c’était le nom que prenait le parjure, —
Tantris cachait Tristan, il n’eut pu le nier ;
Dans une large brèche au fil de son épée,
S’encastrait le fragment d’acier
Resté fixé dans la tête coupée,
Dont il me fit présent, pour railler ma douleur.
Un cri de rage échappa de mon cœur ;
Levant la forte et lourde lame,
J’allais frapper l’infâme
Et venger Morold expirant !…
Alors, — sans crainte… sans alarmes…
Il fixa dans mes yeux son œil mourant
Et sourit à travers ses larmes.
Je ne pus soutenir ce regard surhumain
Et le fer glissa de ma main.
Tristan guérit bien vite.
Troublée et le cœur anxieux,
J’eus hâte, alors, de protéger sa fuite,
Pour me soustraire au charme de ses yeux.