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PAROLES D’UN AMANT


Au courant de l’amour lorsque je m’abandonne,
Dans le torrent divin quand je plonge enivré,
Et presse éperdument sur mon sein qui frissonne
Un être idolâtré,

Je sais que je n’étreins qu’une forme fragile,
Qu’elle peut à l’instant se glacer sous ma main,
Que ce cœur tout a moi, fait de flamme et d’argile,
Sera cendre demain ;

Qu’il n’en sortira rien, rien, pas une étincelle
Qui s’élance et remonte à son foyer lointain :
Un peu de terre en hâte, une pierre qu’on scelle,
Et tout est bien éteint.

Et l’on viendrait serein, à cette heure dernière,
Quand des restes humains le souffle a déserté,
Devant ces froids débris, devant cette poussière,
Parler d’éternité !

L’éternité ! Quelle est cette étrange menace ?
A l’amant qui gémit, sous son deuil écrasé,
Pourquoi jeter ce mot qui terrifie et glace
Un cœur déjà brisé ?

Quoi ! le ciel, en dépit de la fosse profonde,
S’ouvrirait à l’objet de mon amour jaloux ?
C’est assez d’un tombeau, je ne veux pas d’un monde
Se dressant entre nous.

On me répond en vain pour calmer mes alarmes :
n L’être dont sans pitié la mort te sépara,
Ce ciel que tu maudis, dans le trouble et les larmes,
Ce ciel te le rendra. »

Me le rendre, grand Dieu ! mais ceint d’une auréole,
Rempli d’autres pensers, brûlant d’une autre ardeur,
N’ayant plus rien en soi de cette chère idole
Qui vivait sur mon cœur !

Ah ! j’aime mieux cent fois que tout meure avec elle,
Ne pas la retrouver, ne jamais la revoir ;