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Vive, et sur son bonnet fleuri d’octogénaire
Gardant, moins qu’en son cœur, des parfums printaniers

Ma mère, fleur d’avril, avant l’été flétrie ;
Mon bon père qui dut aussi m’abandonner,
Me laissant pour aimer, souffrir et pardonner,
Une âme d’orphelin toujours endolorie ;

Mes vieux maîtres, si doux à l’enfant délaissé,
Par qui j’appris la force et le devoir de vivre
Dans la beauté des cieux et les clartés du livre,
La foi dans l’avenir par l’amour du passé ;

Les très chères aussi, celles qui sur la peine
Du poète craintif, vagabond, anxieux,
Versèrent les pitiés affables de leurs yeux,
Me gardant l’âme fière en ma vie incertaine ;

Puis les gais compagnons de travail et d’espoir,
Plus forts que moi, plus beaux que moi, meilleurs peut-être,
Que la sotte camarde emporta d’un coup traître…
Cette procession s’allonge chaque soir !

D’autres, d’autres encore !… Et, dès que l’un s’approche,
C’est un remords en moi qui suit un repentir,
Et je baisse le front pour ne point trop sentir
Ce que peuvent ses yeux contenir de reproche :

« O fugitifs heureux de ce monde mauvais,
Pour vous y retenir plus longtemps, pour vous rendre
Le départ moins cruel dans un adieu plus tendre,
Vous ai-je bien chéris, comme je le devais ?

« Avons-nous bien mêlé nos âmes mutuelles ?
L’homme le plus ouvert est encor si fermé !
Pour livrer tout son cœur au cœur le mieux aimé
Les regards sont si froids et les mots si rebelles !

« Dans cette vague, et sourde, et morne Éternité
Où vous n’emportez rien de vos corps en poussière,
Qu’a ressaisis l’errante et confuse matière
Dont l’univers mobile entretient sa beauté,

« Des formes qu’en passant dut emprunter votre être,
Ailleurs qu’en mon cerveau, quelque part reste-t-il