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DOUCEUR DU SOUVENIR

Je suis de ces marins qui rêvent sur la mer
Au charme de revoir, plus tard, dans les demeures,
Les flots bleus et le vol des mouettes par l’air !

Triste sous le baiser plaintif dont tu m’effleures,
Oh ! combien ton baiser de jadis m’est plus cher !
Les choses du passé, ma sœur, sont les meilleures.

Souviens-toi. Le regret même n’est pas amer,
Le deuil des jours anciens sourit quand tu le pleures,
Et du plus sombre soir le souvenir est clair.

Mais je hais le présent avec ses fades leurres,
Et, le cœur débordant d’un mépris juste et fier,
Si je poursuis mes jours, c’est que dans quelques heures

Le morose aujourd’hui sera le doux hier.


(Soirs moroses.)


LA DERNIÈRE ÂME
A Gustave Flaubert.

Le ciel était sans dieux, la terre sans autels.
Nul réveil ne suivait les existences brèves.
L’homme ne connaissait, déchu des anciens rêves,
Que la Peur et l’Ennui qui fussent immortels.

Le seul chacal hantait le sépulcre de pierre
Où, mains jointes, dormit longtemps l’aïeul sculpté ;
Et, le marbre des doigts s’étant émietté,
Le tombeau même avait désappris la prière.

Qui donc se souvenait qu’une âme eût dit : « Je crois ! »
L’antique oubli couvrait les divines légendes.
Dans les marchés publics on suspendait les viandes
A des poteaux sanglants faits en forme de croix.

Le vieux Soleil errant dans l’espace incolore
Était las d’éclairer d’insipides destins…