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« L’esprit de curiosité scientifique dont la trace se retrouve dans quelques-uns de ses meilleurs poèmes le poussa dans des directions variées. Étudiant en droit, puis en médecine, passionnément épris et profondément instruit des littératures orientales, il a joint à cette riche et multiple expérience intellectuelle celle des grands voyages et de la vie cosmopolite. C’est dire que peu d’écrivains de ce temps-ci ont coulé plus de métaux et de plus précieux dans le moule de leurs vers. Un goût souverain de l’art, un amour à la fois religieux et mélancolique de la beauté, une sorte de mysticisme nihiliste, de désenchantement enthousiaste et comme un vertige de mystère, donnent à sa poésie un charme composite, inquiétant et pénétrant, comme celui des tableaux de Burne Jones et de la musique tzigane, des romans de Tolstoï et des lieds de Heine. » (Paul Bourget.)

Ayant manifesté de bonne heure un goût très vif pour la poésie populaire, M. Henry Cazalis publia tout jeune, sous le pseudonyme de Jean Caselli, ses Chants populaires de l’Italie, livre délicieux, aujourd’hui introuvable. C’est lui d’ailleurs qui indiqua au regretté Gabriel Vicaire le chemin de cette source intarissable de vraie poésie. Mais — bien qu’il n’ait jamais cessé d’aimer cet art naïf et spontané où abonde l’imprévu lyrique — l’étude de Schopenhauer, du bouddhisme, des littératures orientales, le jeta dans une autre voie, et, ayant sondé le néant des choses, il chanta dans des poèmes d’une ampleur majestueuse l’éternelle Illusion de la vie.

Qu’on ne croie pas cependant que le poète se soit contenté de ce rôle de contemplateur et que ses spéculations philosophiques lui aient servi de prétexte à s’isoler de nos luttes. Bien au contraire, agissant comme si les apparences étaient des réalités, cet idéaliste quand même s’est montré un lutteur infatigable, s’est fait l’apôtre de l’action, de l’action humanitaire, esthétique, morale. Nous ne saurions, bien entendu, songer à analyser ici, même sommairement, l’œuvre complexe et variée, scientifique, philosophique, littéraire et sociale de ce très grand et très pur artiste, l’égal, par l’envergure de l’esprit, par la vigueur de la pensée, par la noblesse de l’effort, des maîtres de la pensée. Il suffira de dire que l’unité de cette œuvre ressort de sa complexité même, que toujours une haute pensée philosophique et humanitaire, le culte souverain de l’Art, de la Beauté, ont présidé à la conception de chacune de ses parties, et que l’ensemble constitue un magnifique effort vers l’Idéal.

Rappelons, pour clore cette notice, que dans les Quatrains d’Al-Ghazali, œuvre peu connue, peu comprise, M. Cazalis a fait un usage très original du quatrain. Il a vu que celui-ci, comme le sonnet, pouvait être une forme assez complète pour pleinement contenir toute une émotion, toute une vision ou toute une phi-