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Lorsque Adonis saignant dormait pâle en sa tombe ;
Et mon cœur reverdit, quand tout redevient vert.

Certains jours, en errant dans les forêts natales,
Je ressens dans ma chair les frissons d’autrefois,
Quand, la nuit grandissant les formes végétales,
Sauvage, halluciné, je rampais sous les bois.

Dans le sol primitif nos racines sont prises ;
Notre âme, comme un arbre, a grandi lentement ;
Ma pensée est un temple aux antiques assises,
Où l’ombre des Dieux morts vient errer par moment.

Quand mon esprit aspire à la pleine lumière,
Je sens tout un passé qui me tient enchaîné ;
Je sens rouler en moi l’obscurité première :
La terre était si sombre aux temps où je suis né !

Mon âme a trop dormi dans la nuit maternelle ;
Pour atteindre le jour, qu’il m’a fallu d’efforts !
Je voudrais être pur : la honte originelle,
Le vieux sang de la bête est resté dans mon corps.

Et je voudrais pourtant t’affranchir, ô mon âme,
Des liens d’un passé qui ne veut pas mourir ;
Je voudrais oublier mon origine infâme,
Et les siècles très longs que tu mis à grandir.

Mais c’est en vain • toujours en moi vivra ce monde
De rêves, de pensers, de souvenirs confus,
Me rappelant ainsi ma naissance profonde,
Et l’ombre d’où je sors, et le peu que je fus ;

Et que j’ai transmigré dans des formes sans nombre,
Et que mon âme était, sous tous ces corps divers,
La conscience, et l’âme aussi, splendide ou sombre,
Qui rêve et se tourmente au fond de l’univers !


(L’Illusion : Heures sombres.)


LE SAGE


Le vieux Viçvamétra dans les austérités
Avait vécu cent ans, et le farouche ascète
Assombrissait parfois de regards irrités
Le ciel clair, où les Dieux anciens menaient leur fête.