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Les générations qui naissent et qui meurent ?
Parmi les bruits confus entends-tu ceux qui pleurent ?
Entends-tu se mêler le rire et les sanglots,
Pareils à la clameur monotone des flots ?
Mortel, as-tu compris que tout n’est qu’apparence,
Et ton orgueil encor garde-t-il l’espérance
De remplir tous les temps futurs de son néant ?
— Pourtant, plonge sans peur en ce gouffre béant,
Ainsi que l’épervier plongeant dans la tempête :
Car ce grand rêve une heure a passé dans ta tête ;
Tu fus la goutte d’eau qui reflète les cieux,
Et l’univers entier est entré dans tes yeux :
— Et bénis donc Allah, qui t’a pendant cette heure
Laissé, comme un oiseau, traverser sa demeure.


(L’Illusion : La Gloire du Néant.)


LA PASSION DE SIVA


Siva, Dieu de la mort, est beau comme une femme.


Siva survivra seul, un soir, à tous les Dieux :
Leurs têtes, ce soir-là, pareront sa poitrine,
Et, la paix du néant souriant dans ses yeux,
Siva se chantera sa passion divine :

« J’étais, aux temps passés, l’Ame de l’univers,
J’étais le jour, j’étais la nuit, j’étais l’aurore,
J’étais le printemps clair, les étés, les hivers,
L’immense vie ardente et l’Amour qui dévore.

« Illusoire splendeur, j’habitais mon palais,
Ainsi que l’Araignée au centre de ses toiles :
Les âmes tour a tour tombaient dans mes filets,
Et j’ai fait dans mon sein s’éteindre les étoiles.

« Oh ! les morts, dormez donc et rêvez dans ma nuit,
En attendant qu’un jour je vous laisse renaître,
Si j’ai besoin encor de lumière et de bruit,
Pour de nouveau combler l’abîme de mon être :

« Car l’abîme est profond et mon cœur plein d’ennui,
Et seul dans l’infini, debout, sombre, livide.