Je m’installe au banquet dont un père économe
S’est donné les longs soins pour mon futur régal.
Je suis probe, mon bien ne doit rien à personne,
Mais j’usurpe le pain qui dans mes blés frissonne,
Héritier, sans labour, des champs fumés de morts.
Ainsi dans le massacre incessant qui m’engraisse,
Par la nature élu, je fleuris et m’endors
Comme l’enfant candide ët sanglant d’une ogresse.
Saturne, Jupiter, Vénus, n’ont plus de prêtres.
L’homme a donné les noms de tous ses anciens maîtres
A des astres qu’il pèse et qu’il a découverts,
Et des dieux le dernier dont le culte demeure,
A son tour menacé, tremble que tout à l’heure
Son nom ne serve plus qu’à nommer l’univers.
Les paradis s’en vont ; dans l’immuable espace
Le vrai monde élargi les pousse ou les dépasse ;
Nous avons arraché sa barre à l’horizon,
Résolu d’un regard l’empyrée en poussières
Et chassé le troupeau des idoles grossières
Sous le grand fouet d’éclairs que brandit la Raison.
Nous savons que le mur de la prison recule,
Que le pied peut franchir les colonnes d’Hercule,
Mais qu’en les franchissant il y revient bientôt ;
Que la mer s’arrondit sous la course des voiles ;
Qu’en trouant les enfers on revoit des étoiles ;
Qu’en l’univers tout tombe, et qu’ainsi rien n’est haut.
Nous savons que la terre est sans piliers ni dôme,
Que l’infini l’égale au plus chétif atome ;