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Fit au cœur du poète une entaille profonde,
Car, ô Fille des Dieux, immortelle Beauté,
Tes bras, en se brisant, laissèrent choir le monde
Dans les gouffres abjects de la réalité !

(Le Paya des roses.)


LE PÈLERINAGE


Après vingt ans d’exil, de cet exil impie
Où l’oubli de nos cœurs enchaîne seul nos pas,
Où la fragilité de nos regrets s’expie,
Après vingt ans d’exil que je ne comptais pas,

J’ai revu la maison lointaine et bien-aimée
Où je rêvais, enfant, de soleils sans déclin,
Où je sentais mon âme à tous les maux fermée,
Et dont, un jour de deuil, je sortis orphelin.

J’ai revu la maison et le doux coin de terre
Où mon souvenir seul fait passer sous mes yeux
Mon père souriant avec un front austère,
Et ma mère pensive avec un front joyeux.

Rien n’y semblait changé des choses bien connues
Dont le charme autrefois bornait mon horizon :
Les arbres familiers, le long des avenues,
Semaient leurs feuilles d’or sur le même gazon ;

Le berceau de bois mort qu’un chèvrefeuille enlace,
Le banc de pierre aux coins par la mousse mordus,
Ainsi qu’aux anciens jours tout était à sa place,
Et les hôtes anciens y semblaient attendus.

Ma mère allait venir, entre ses mains lassées
Balançant une fleur sur l’or pâle du soir ;
Au pied du vieux tilleul, gardien de ses pensées.
Son Horace à la main, mon père allait s’asseoir.

Tous deux me chercheraient des yeux dans les allées
Où de mes premiers jeux la gaîté s’envola ;
Tous deux m’appelleraient avec des voix troublées
Et seraient malheureux ne me voyant pas là.