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MON ENCRIER

Vers ce vieil encrier que je vois, sur ma table,
Arrondir sagement son ventre respectable,
Combien, combien de fois
Pour y tremper ma plume indolente ou pressée
D’un geste machinal et presque sans pensée
Ai-je allongé les doigts !

Que d’inutiles mots, que de vains griffonnages
Traçant sur la blancheur virginale des pages
Leur sillon turbulent ;
Que de phrases, avec tant d’amour ciselées,
De ce vieil encrier sortirent par volées…
Que de noir sur du blanc !

Que de billets hâtifs, que de courtes dépêches
Resserrant une idée en quelques mots revêches
Très strictement comptés ;
Que de lettres aussi, de longues lettres tendres
Dont il ne reste plus aujourd’hui que des cendres
Errant de tous côtés !

Et que de vers, surtout ! Vers joyeux, vers moroses,
À l’ombre des cyprès faisant fleurir les roses,
Et chantant tour à tour
— N’est-ce point ici-bas l’antithèse éternelle ? —
Les mille sentiments qu’une âme porte en elle,
De la haine à l’amour !

Pendant combien de jours encor, combien d’années,
Poursuivant ici-bas mes humbles destinées
Sans éclat et sans bruit,
Vais-je, ô cher compagnon de mes heures d’étude,
En tes flancs rebondis, comme à mon habitude,
Puiser l’encre qui luit ?

Dieu seul le sait ; que sa volonté soit bénie !
Mais quand j’aurai quitté, ma carrière finie,
Ce monde hospitalier,
Je veux que, si quelqu’un par la porte entr’ouverte
T’aperçoit sommeillant sur ma table déserte,
Ô mon vieil encrier,