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de Chimay ont appelé des trappistes pour cultiver des fagnes, et il étudia là ses héros ; il serait curieux de rapprocher ce curieux livre de l’En route de M. Huysmans, autre homme du Nord.

« Entre 1887 et 1891 paraissent Les Soirs, Les Débâcles et Les Flambeaux noirs. Ces trois poèmes répondent à une crise physiquement maladive de la vie du poète, et il exalte la douleur pour elle-même avec une sorte de rage et de sauvagerie : Les Soirs sont les décours de l’être qui se crie ; Les Débâcles, le cri lui-même ; Les Flambeaux noirs, le reflet de la douleur sur les idées générales qui assaillent le malade et qu’il déforme d’après sa maladie et d’après sa personnalité anormale. Je ne sais pas de plus puissante tragédie intérieure. Les Apparus dans mes chemins (1891) se ressentent des Flambeaux noirs dans leur première partie. Dans la seconde, il s’y lève des aubes de consolation : c’est le souvenir d’une morte et la présence calmante d’une femme rencontrée qui semble quelquefois n’être que la morte ressuscitée ; si bien que dans les vers du poète deux figures se mêlent, déterminant ce changement du noir au blanc.

« Nous voici en 1892. M. Verhaeren, avec MM. Eekhoud, le puissant romancier paroxyste, et Vandervelde, fonde la Section d’art à la Maison du Peuple : on y exécute du Wagner, on y conférencie sur Ibsen, sur Hugo, on y étudie et l’on y fait interpréter des chansons populaires ; pour toutes ces manifestations d’art pur, il se trouve un public étonnamment compréhensif.

« Mais ces préoccupations socialistiques qui hantent ou hantèrent presque toute la littérature de ce temps n’entravent pas le travail du poète. En 1893, ce sont les Campagnes hallucinées, livre intercalaire et annonciateur. L’année suivante, ce sont les Villages illusoires. Ce poème fait partie d’un ensemble : en lui, le poète détaille les champs abandonnés, l’esprit du sol, de l’arbre, de l’eau, des fermes, — esprit tué ! Dans les Villes tentaculaires se trouvent notés l’absorption des campagnes par l’industrie, la misère, l’argent, la veulerie, la corruption, le blasphème des villes dressées contre l’ordre naïf et primordial. Dans les Aubes, enfin, le poète dit l’avenir tel qu’il le rêve, purifié, lavé, exorcisé du présent !

« Avec M. Verhaeren, les Flandres nous sont apparues magnifiées : n’est-ce pas le vigoureux coloris aggravé d’ombre, la lourde orgie fougueuse des kermesses, le tragique physique des désespoirs prolétariens, la danse macabre aux précisions gothiques, et la rude beauté ensanglantée des révoltes, l’espérance indéfectible des races fortes ? Car l’œuvre de M. Verhaeren, large et haute d’une noblesse native, est faite de cette ubiquité idéale sans quoi il n’y a pas de génie ; mais elle ne laisse de fleurer bon le terroir des aïeux : au contraire de ces spécialistes provinciaux qui crurent fortifier leur plus chétif génie d’un scrupule, sans doute respectable, d’ethnologie géographi-