432 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS
Le ragoût qu’on allait manger
Cuisait avec un bruit léger :
Fallait-il donc se déranger ?
Mais, ô revers inévitables !
Des héritiers peu charitables
Ont proscrit les chats de leurs tables ;
Les voilà bohèmes ; souvent,
Par les nuits de neige et de vent,
Ils grelottent sous un auvent ;
Ombres étiques et funèbres,
Ils profilent dans les ténèbres
Leurs dos où saillent les vertèbres ;
Et quand ils voient passer en bas
Des bonnes femmes à cabas
Qui trottent menu d’un air las,
Le bon goût des crèmes sucrées
Où trempaient les croûtes dorées
Revient à leurs lèvres sevrées,
Et les vieux chats, d’un air dolent,
Hantés par un cruel relent,
Font le gros dos en miaulant.
{Chattes et Chats.)
PETIT THÉÂTRE
« Tu demandes pourquoi je pleure,
Chante l’Etoile avec l’émoi
D’une amante que l’amour leurre ;
Mais, si je pleure, c’est pour toi !...
Et, geignant sa vague rengaine,
Elle pleure pour tout, pour rien ;
Pour lui qui rit de tant de peine,
Pour elle qui pleure si bien ;
Pour les amis, pour le concierge,
Personnages fort indiscrets
Qui, voyant pleurer une vierge,
Veulent connaître ses secrets ;