Te voici pour toujours mienne, tu dormiras
Hélée à moi, fondue en moi, pensive, heureuse,
Et prodigue sans fin de ton âme amoureuse !
O Dieu juste, soyez béni par cet enfant
Qui voit et contre lui tient son rêve vivant !
Mais toi, parle, ou plutôt, sois muette, demeure
Jusqu’à ce qu’infidèle au ciel plus pâle, meure
Au levant la dernière étoile de la nuit.
« Déjà l’eau du matin pèse à l’herbe qui luit,
Et, modelant d’un doigt magique toutes choses,
L’aube à pleins tabliers sème ses jeunes roses.
O la sainte rumeur de sève et de travail !
Ecoute passer, cloche à cloche, le bétail,
Et rauquement mugir la trompe qui le guide.
La vallée a ses tons d’émeraude liquide,
Les toits brillent, les bois fument, le ciel est clair,
Chaque vitre au soleil répond par un éclair,
La douceur de la vie entre par la fenêtre.
J’aime à cause de toi l’aube qui vient de naître,
Et, mêlée à la grâce heureuse du décor,
Mon immortelle amour, tu m’es plus chère encor.
Nous tremblons, enivrés du vin de notre fièvre,
Et nous nous demandons tout bas et lèvre à lèvre
Quels matins purs, quels soirs lumineux et bénis
Couvent nos doigts tressés comme les brins des nids.
Et ni la terre en joie et ni le ciel en flammes,
Rien ne détourne plus du rêve nos deux âmes,
Qui, parmi la rumeur grandissante du jour,
Pleurent dans le silence infini de l’amour. »
L’amour ?… rouvre les yeux, mon pauvre enfant, regarde !
Le val est bleu de clair de lune, le jour tarde,
La rivière murmure au loin avec le vent,
Et te voilà plus seul encor qu’auparavant.
La bien-aimée au front pensif n’est pas venue,
Le sein que tu pressais n’est qu’une pierre nue,
La voix qui ravissait tes sens n’est qu’un écho
Du bruit des peupliers tremblants au bord de l’eau.
La longue volupté de cette heure attendrie
Fut le jeu d’un désir expert en tromperie.
Va, ferme la croisée, et quitte ton espoir.
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