Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t3.djvu/270

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Ils m’ont abandonné dans l’ombre de la route,
Ceux que j’avais nommés les frères de mon cœur ;
Ils ont fait grimacer tous les masques du doute,
Ils ont flétri mon nom, ils ont raillé mes pleurs.

Ils ont dit que j’allais mendiant la renommée
Et que je paradais dans mon rêve déchu,
Pareil à l’histrion, de sa robe fanée
Montrant pour éblouir les splendeurs disparues.

L’un surtout… Je l’aimais du fond de mon enfance ;
Nos mères sur nos fronts jadis s’étaient souri…
Quand on en parlait mal je prenais sa défense,
Je ne pouvais vraiment pas croire à tant d’oubli !…

Pourtant j’avais connu des heures solitaires
De pensée et d’effort pour braver le destin ;
J’avais senti passer le vent de la misère
Sur ma lampe tremblante aux clartés du matin.

J’adorais la beauté, je cherchais l’idéal ;
J’étais sur le chemin un rêveur en voyage ;
Au front d’un ouvrier mon front était égal,
Je ne méritais pas de lauriers ni d’outrages.

Mon rêve pour de l’or ne s’était pas vendu,
Je n’avais pas livré mon cœur pour qu’on m’acclame…
— Avec les pharisiens ceux qui m’ont confondu
Ont-ils bien regardé dans le fond de leur âme ?

Ont-ils l’amour de la justice et du pardon ?
N’ont-ils pas fait l’aumône afin que l’on le sache ?
Peuvent-ils, en rentrant le soir dans leur maison,
S’asseoirjoyeux, disant : « Seigneur, j’ai fait ma tache ?»

IUn’importe ! O nature, à ta bonté j’aspire !
C’est assez d’avoir entendu tes vents chanter
Dans tes bois de sapins comme en de grandes lyres,
Pour avoir oublié ceux qui m’ont insulté.

Tu m’offres des festins de rayons et de fleurs
Où tu n’admettrais pas tous ces pâles convives ;
Ils ne boiront jamais à la coupe des pleurs
L’ineffable douceur d’amour dont je m’enivre.