Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t3.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


CHANSON

O divin souvenir d’une enfance lointaine !
Là-bas, dans le cristal de l’air qui vibre un peu,
Flamme d’azur et d’or se précisant à peine,
Parmi les roses qu’elle effleure de sa traîne,
S’éveille une chanson douce comme un aveu.

Chanson claire, chanson des lèvres bien-nimécs
Qui se turent dans l’ombre exquise du passé
Avec les rêves d’or en allés en fumées
Et les espoirs dont les ailes se sont fermées
Sur les religieux secrets d’un cœur blessé.

Comme si le retour à l’antique demeure
Faisait frémir le pur esprit ressuscité,
Tour à tour la chanson sourit, soupire et pleure,
Historiant la fuite inflexible de l’heure
A la fois d’un peu d’ombre et d’un peu de clarté.

Elle sourit : Noël ! Des notes argentines
Frissonnent dans le ciel comme autant de baisers
Dont l’aube aurait fleuri des lèvres enfantines :
Mille cloches au loin semblent sonner matines,
Et sur les lys mille oiseaux bleus se sont posés.

Elle soupire : au loin les cloches se sont tues,
Et, las des lys fanés, tous les oiseaux ont fui…
La mousse écaille d’or le marbre des statues,
Et sur les troncs meurtris des forêts abattues
L’amour s’en vient baiser les lèvres de la Nuit.

Elle pleure : 6 détresse ! Entendez-vous dans l’ombre
Qui ronge avidement les lueurs du couchant,
Entendez-vous gronder la lourde cloche sombre ?
L’Amour rale, l’espoir se meurt, le rêve sombre,
Et l’âme erre parmi ses morts en trébuchant.

O^cruel souvenir d’une enfance lointaine !
Dans le cristal fêlé de l’air qui geint un peu,
Flamme rouge de sang se précisant à peine
Au fond de la vallée où la douleur l’entraîne,
S’éteint une chanson triste comme un adieu.