JEHAN RICTUS 279
Viens ! que j’te r’garde... ah cormm’ t’es blanc !
Ah ! comm’ t’es pàl’... comme t’as l’air triste.
(T’as tout fat l’air d’un artiste !
D’un d’ces poireaux qui font des vers
Malgré les conseils les pus sages,
Et qu’les bourgeois guign’nt de travers,
Jusqu’à c’qu’y fass’nt un rich’ mariage )
Ah ! comm’ t’es pàle... ah comm’ t’es blanc !
Tu guerlott’s, tu dis rien... tu trembles.
(T’as pas bouffé, sur... ni dormi !)
Pauv’ vieux, va... sl qu’on s'rait amis,
Veux-tu qu’on s’assoy’ su’ un banc,
Ou veux-tu qu’on s’balade ensemble ?...
Ah comm’ t’es pale... ah comm’ t’es blanc !
T’as toujours ton coup d’lingue au flanc ?
De quoi... a saign’nt encor tes plaies ?
Et tes mains... s pauv’s mains trouées
Qui c’est qui les a déclouées ?
Et res pauv’s pieds nus su’ l’bitume,
Tes pieds à jour... percés au fer,
Tes pieds crevés font courant d’air.
Et tu vas chopper un bon rhume
Ah comm’ t’es pale... ah comme t’es blanc !
Sais-tu qu’t'as l’air d’un revenant,
Ou d’un clair de lune en tournée ?
T’es maigre et t’es dégringandé :
Tu d’vais et’ comme ça en Jude
Au temps ou tu t’proclamais Roi
A present t’es comme en farine.
Tu dois t’en aller d’la poitrine,
Ou ben... c’est ell’ qui s’en va d’toi
Quèqu’ tu viens fair’ ? T’es pas marteau ?
D’ou c’est qu’t'es v’nu ? D’en bas, d’en haut ?
Quelle est la rout’ que t’as suivie ?
C’est-y qu’tu recommenc’rais ta vie ?
Es-tu venu sercher du cravail ?
Ben... t’as pas d’vein’, car en c’moment.
Mon vieux, ren n’va dans l’batiment.
(Pis, tu sauras qu’su’ nos chantiers
On veut pus voir les étrangers !)