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LES GLANEUSES

A Jean de Milty.

La mort du jour torride et du soleil ardent
Laisse un peu de fraîcheur s’épandre par la plaine ;
D’effluves embaumés la tiède brise est pleine ;
Une clarté de nacre argente l’Occident.

C’est l’heure violette encor du crépuscule,
Où l’arbre du coteau se détache plus fin ;
La glèbe se prolonge à l’horizon sans fin ;
La lumière est par l’ombre envahie et recule.

Dans les champs où passa le vol rythmé des faulx,
Tenant leur gerbe, ainsi qu’on rapporte un trophée,
Les glaneuses, chacune agrestement coiffée,
Regagnent le village en groupes triomphaux.

Bien que lasses, cambrant avec fierté le buste,
A travers les sillons dès l’enfance connus,
L’humble tâche accomplie, elles rentrent pieds nus
Dans leur beauté puissante et leur grâce robuste.

Le soir qui les grandit tombe sur leur destin.
Héroïnes sans noms d’obscures épopées,
Elles vont, d’un reflet biblique enveloppées,
Scandant leur marche aux coups d’un Angélus lointain.

De temps en temps parmi l’harmonieux silence
Jaillit d’un gosier jeune un chant sonore et clair
Dont vibre longuement la pureté de l’air,
Et le refrain en chœur des poitrines s’élance.

Elles rentrent ainsi sous les cieux assoupis,
Et toutes, par degrés, sont bientôt confondues
Au vague demi-jour des pâles étendues.
Sous leur double fardeau de misère et d’épis.

Or, comme elles, noyé dans l’ombre et le mystère,
De la glèbe divine éphémère glaneur,
J’ai voulu recueillir une part de bonheur
Et, fétu par fétu, lier ma gerbe austère.